Jean-Paul Chaumeil vient de publier aux Editions du Rouergue un premier roman policier étonnant où l’action se déroule le 11 septembre 2001 ! Le ton est donné. Ce thriller politico-financier vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page. Amateurs de Raymond Chandler ou de Dashiell Hammett, précipitez-vous lire ce petit bijou. Découvrez l’interview que Jean-Paul Chaumeil nous a consacré pour la parution de cet ouvrage…

JPC - Ground Zero« Ground Zéro » de Jean-Paul Chaumeil
Éditions du Rouergue – Collection Rouergue Noir
Prix : 19 € –  ISBN : 978-2-812-60744-8 – Parution : 14 janvier 2015 -288 pages

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Comment vous est venue l’idée d’écrire un tel roman ?
Je suis tenté par l’écriture depuis longtemps ; mais je n’étais jamais allé plus loin que quelques pages.
Avec le temps c’est le genre roman noir qui m’est apparu comme le plus à même de pouvoir m’exprimer. A la fois par les sujets traités (des faits de société) et aussi un style un peu distancié que j’ai trouvé chez certains parmi les Américains et plus tard les Français, à partir de Manchette.
J’ai été happé par la mythologie étasunienne avant même de devenir grand, sans que je puisse repérer quoique ce soit qui m’y ait poussé dans mon environnement familial. Le rock, les villes la nuit dans les films noirs, le jazz, les types qui voyagent dans les wagons de marchandises, les romans comme des livres d’images, les grands espaces, les Indiens, et plus tard le cinéma qui regarde les arrières cours de New York ou qui enquête dans les somptueuses villas de Beverley Hills, le BPP, le flower power, les motels insignifiants le long des autoroutes…Et par-dessus tout une attirance, disons amoureuse, pour New York, la ville des villes, que je n’ai visité qu’en 2010, après avoir finir d’écrire l’essentiel de mon roman !
Quand j’ai regardé à la télé en boucle les heures dramatiques du 11septembre, je me suis dit que si un jour je mène jusqu’au bout l’écriture d’un polar, l’intrigue se déroulera à NYC le 9-11, dans une tour du WTC.

Ce roman m’a rappelé la veine des romans noirs de Dashiell Hammett ? Est-ce un auteur qui vous a influencé ?
Dashiell Hammett (votre référence me va droit au cœur !) et aussi Raymond Chandler ont effectivement influencé ma manière d’écrire, probablement au-delà de ce que je pensais jusqu’à présent. Il est vrai qu’une partie du plaisir que j’éprouvais à écrire cette histoire venait du fait de pouvoir utiliser les codes de ce genre dont je m’étais imprégné au fil de mes lectures. En même temps en inventant une histoire sans enquête, sans détective avec un personnage sans scrupules, il me semble que je m’éloignais un peu de ces modèles.
J’avais aussi en tête le dernier roman inachevé de Manchette qui déjà situait une intrigue sur l’arène internationale. Je pourrais aussi citer le DOA de « Citoyens clandestins » pour cette volonté d’aller vers des sujets de terrorisme ou de géopolitique…

Le narrateur et personnage principal s’adresse au lecteur comme si il était de la partie ? Pourquoi ce parti pris ?
Prendre à témoin le lecteur me parait être un des codes du polar. J’ai repris ce procédé car je voulais introduire le lecteur au plus près du narrateur pendant qu’il accomplit ses forfaits J’ai cherché à placer le lecteur dans une situation de connivence et de complicité avec un type dont tous les actes sont détestables. Une façon d’introduire un malaise et aussi –mais implicitement- de créer une sorte de réflexion sur les mécanismes libéraux -no futur, no morale, un job est un job, point barre- qui visent à guider les comportements de tout un chacun.
Enfin, le choix d’un narrateur s’exprimant à travers un long monologue, interpellant le lecteur régulièrement, me permettait aussi de varier son niveau de langue. C’était un plaisir d’écriture de manier ces différents registres.

Pourquoi avoir mêlé dans cette l’intrigue les événements du 11 septembre?
Je pourrais dire que d’une certaine façon, c’est le 11 septembre qui est à l’origine de mon désir d’écriture sur cette ville ; ensuite j’ai dû y introduire une intrigue, ce qui a été plus difficile que prévu.
Dans une première version j’avais concentré mon écriture sur une sorte de road movie d’un tueur à gages, sans morale et sans état d’âme ; on y trouvait d’ailleurs plusieurs autres épisodes que j’ai supprimés. Je cherchais à y imprimer un rythme d’écriture visuelle, rapide et rythmée (avec la musique qui va avec) dont je pensais qu’une intrigue détaillée viendrait ralentir le déroulement.
C’est grâce à Nathalie Démoulin des éditions du Rouergue, à ses conseils et propositions que j’ai réussi à muscler l’intrigue sans toucher au rythme.

Il y a là dans cet ouvrage une étude assez précise des armes, du fonctionnement de ce monde interlope. Comment avez-vous travaillé ces points ?
Je ne suis pas certain que j’aurais pu mener jusqu’au bout ce travail d’écriture…à une époque où internet n’existait pas. Pendant des années j’ai constitué des archives papier sur les EU (que j’utilisais aussi dans mon travail de prof) sans but précis que de disposer de cette matière, sans laquelle il me semblait que ma mémoire personnelle s’enfuirait.
Pourtant, je crois que cela n’aurait pas suffi. J’ai donc passé des heures à utiliser un logiciel offrant des street view pour circuler dans les rues de NY et d’ailleurs, à regarder des lieux, des armes, des bâtiments…en attendant qu’ils me fassent signe afin de déclencher mon écriture.
Pour les armes, j’’étais en accord avec Manchette pour qui on ne pouvait pas écrire une histoire avec des armes en commettant des erreurs sur leur calibre ou même sur la manière de le formuler par écrit (j’ai d’ailleurs effectué une modification d’importance au dernier moment). J’ai donc utilisé abondamment les articles d’une « encyclopédie » en ligne qui fournit une grande quantité d’informations sur le sujet.
J’ai fait la même chose pour les drogues ou la musique (en utilisant aussi mes connaissances personnelles) et aussi pour tout ce qui touche aux questions financières, à l’aide de la presse quotidienne.
Je suis parti de l’idée que je voulais que tout cela apparaisse comme vraisemblable, puisque venant d’un narrateur spécialiste des armes et cherchant par tous les moyens à faire fructifier son capital. J’ai cherché en permanence à produire un effet de réel avec des sources fiables plutôt que de m’engager dans un récit complètement réaliste.

Avez-vous travaillé également avec des sources corroborant cette activité ?
Non, je n’ai pas fait appel à d’autres sources autres que celles qui sont accessibles à travers les différents médias.

Ce qui est extraordinaire dans cette histoire, c’est la psychologie du personnage principal, un tueur sans scrupules qui occulte totalement ce qui a traumatisé le monde pendant ces journées noires en se concentrant uniquement sur son business. Donner la part belle aux événements du 11 sept ne risquait-il pas de tuer l’intrigue ?
Il me semble, mais c’est tout à fait subjectif, que certains auteurs comme Chandler mettait en place des intrigues (parfois avec des incohérences internes) parce que c’était nécessaire pour le genre, et pourtant j’ai le sentiment que ce qui les intéressait d’abord c’était tout le reste : le monde bien noir dans lequel leurs personnages évoluaient.

C’est tout à fait volontairement que j’ai rendu insensible le narrateur aux différents drames qui atteignent le reste de l’humanité. C’est une sorte de déshumanisation d’un homme qui est raccord avec les milieux qui lui fournissent les contrats qu’il accomplit à leur service.
Il m’arrivait au début de me laisser entraîner à lui prêter des pensées et des analyses dénonçant le système dans lequel il vit, et qui sont plus conformes à mes propres opinions, Alors, je rayais cela d’un trait de plume pour lui faire dire exactement l’inverse !
Il me semble que l’actualité nous montre de plus en plus régulièrement que ce cynisme, cet amoralisme est assez largement partagé ici et là. La banque HSBC savait depuis 2002 qu’elle abritait les comptes des financiers d’Al Qaïda ; un procureur d’Argentine vient de [se] suicider la veille de faire un rapport devant le parlement, sur un attentat ayant fait 80 morts, mettant en cause la Présidente et divers services de renseignement.

Jean-Paul Chaumeil